Dans mon building, ils ont pas installé de sécurité pour la Covid. Y devraient. Les gens rentrent pis sortent tout le temps. Ça arrête jamais, mais y en font pas de cas. On a peur.
Moi, j’ai soixante et un an, pis chus asthmatique. Chus pas tout seul, y en a plein d’autres qui sont âgés pis qui sont pas en forme. Je dirais qu’il y a au moins le quart du building qui fait du diabète. Y a des déficients intellectuels pis y a du monde avec des p’tits problèmes au cerveau. Je connais au moins deux schizophrènes. Y a une madame au huitième, elle a le cancer des poumons pis elle est en dialyse deux fois par semaine, directement dans son appartement. Y a aussi du monde handicapé avec des chaises roulantes, du monde stressé qui prend des pilules, pis je compte même pas le nombre de personnes qui font de l’emphysème.
C’est un beau mélange !
Si le microbe rentre icitte, y va avoir des morts, certain !
Y a vraiment plein de monde qui ont peur. Ça paraît.
L’autre jour, la madame du 407, elle a voulu me frapper avec sa canne pour que je rentre pas dans l’ascenseur. Y en a une autre qui est virée sur l’top. Déjà quand ça va bien elle est bizarre, elle fait des plaintes sur toute, elle critique toute, elle a tout le temps peur des microbes. Fait que là, elle capote sur un temps rare. Elle porte un gros masque noir jusqu’au nez pis des lunettes de soleil. Ça y donne un drôle de look! C’est spécial. On peut pas l’approcher, elle veut qu’on reste loin, on sent qu’elle est nerveuse en ciboire.
Y a un gars qui vient faire des livraisons dans le building pour le dépanneur. Y se promène tout le temps. Y va partout dans le quartier. Y va même dans le CHSLD où ce qu’on voit la morgue qui sort deux, trois fois par jour. C’est pas un gars qui est propre propre d’avance sur son linge. Pas mal sûr qu’y a pas pris de douche à matin.
Y nous fait peur. Y touche à toute, aux poignées de porte extérieures, aux boîtes à malle, aux pitons d’ascenseur, pis y se lave pas les mains. Y nous met en danger, c’est sûr! On a beau y dire, ça change pas grand-chose. Ça me met en câliss. Si au moins on avait un gardien pour empêcher le monde de dehors de rentrer…
On se sent tu seul, ça joue sur le moral.
Avant ce virus-là, on était habitué d’avoir une belle salle communautaire. On s’occupait de notre monde. On organisait plein d’affaires : des déjeuners, des soupes, des fêtes.
Depuis la Covid, le monde trouve ça vraiment plate. Y s’ennuient. Y disent : « On va perdre notre BBQ, notre Saint-Jean, notre épluchette de blé d’Inde. » C’était important pour eux, c’est avec ça qu’ils se réunissent. Les gens sont découragés, y savent pu quoi faire. C’est pas évident quand t’es pogné tu seul dans un trois et demi ou un studio.
À part des téléphones pis des boîtes de bouffe, on reçoit pas grand aide de l’extérieur. Y paraît qu’y a plein d’intervenants du quartier qui sont assis chez eux payés en train de faire des meetings devant une patente, genre vidéo-conférence, qui s’appelle ZOOM. Me demande à quoi ça peut servir ! Pendant qu’y font leur blabla, nous autres on fait des vraies affaires. On bouge. On va vers le monde. Les gens ont besoin de contacts humains.
Au moins deux, trois fois par mois, on veut leur donner un peu de joie, on veut leur donner un peu d’amour, un peu de cœur, leur donner de quoi pour qu’y soient heureux pareil.
On connaît ceux qui sont dans le besoin mieux que n’importe qui. Y a pas personne dans un bureau ou dans un organisme qui connaît le building mieux que nous autres. Pis qui voit autant de détresse que ce qu’on peut voir.
On s’est mis à quatre, les membres du comité de locataires, chacun dans nos appartements. On a cuisiné cinquante-quatre repas. Il y avait du jambon, des légumes, des patates, une liqueur pis du dessert. On a pris toutes les précautions qu’y fallait. On a mis des gants pis des masques. On est resté à deux mètres. On a nourri notre monde.
Pour Pâques, on a commandé cinquante-sept repas. On a rempli notre charriot à quatre roues pis on a distribué des boîtes de poulet avec une liqueur pis une p’tite poule de Pâques. C’était pas grand-chose, mais les gens ont bien apprécié le chocolat.
Hier, ma sœur a cuisiné une soupe aux légumes chez elle. De mon bord, j’ai fait des sandwichs. Après, on a distribué ça pour le souper. On en a donné cinquante-deux ou cinquante-six, chus pas sûr.
Ça fait du bien de faire du bien autour de nous autres ! On reçoit plein de beaux témoignages. Y a une madame qui m’a dit : « Ça fait chaud au cœur ce que vous faites ! ». On a reçu trois lettres. Y en avait une qui disait : « Vous êtes le meilleur comité qu’on n’a jamais eu, vous faites du bien au cœur. »
C’est le fun pour les gens, pis c’est le fun pour nous autres.
On fait jamais rien pour à rien. Ce qu’on fait, ça amène quelque chose au gens, pis moi ça me désennuie, ça me fait du bien, surtout au moral.
Les temps sont durs. Mais au moins on est ensemble, pis on est encore capable de donner du cœur aux autres.
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