Notre époque semble sans avenir. Alors qu’on doit faire face de toute urgence à de nombreux défis (sociaux, politiques, économiques, écologiques), globalement, nous sommes devenus les pions d’un développement qui nous échappe. Depuis 40 ans, partis politiques et médias nous martèlent qu’il est le seul valable. Les débats démocratiques, dans les pays où il y en a encore, n’ont pas à le remettre en cause. Il repose sur quelques idées toutes simples : la production doit se réaliser au plus bas coût possible, générer rapidement un maximum de profits pour les propriétaires des entreprises, et toute redistribution de la richesse par l’état sera considérée comme une dépense.

Conséquences : les inégalités sont devenues scandaleuses1, les acquis sociaux régressent, les tensions sociales s’accroissent. La pandémie n’a rendu que plus visible le caractère absurde de ce mode de production. Qui est le plus essentiel à l’humanité : l’actionnaire ou la préposée aux soins qui peine à se loger?

Au fait, qu’appelle-t-on société aujourd’hui? Une collection d’individus mis en concurrence, inquiets, ayant peur les uns des autres, ne trouvant de réponse à leur malaise que dans la consommation ou l’exhibition de leur singularité sur les médias sociaux. « Le vivre ensemble », sur le principe, on est d’accord, sauf qu’on dirait qu’on ne sait plus comment s’y prendre pour le réaliser.

Et la terre commence à atteindre ses limites. L’accès à l’énergie ainsi qu’aux matières premières se complique. Qu’on le veuille ou non, on va bientôt entrer, si ce n’est déjà fait, dans l’ère de la décroissance économique. Quant aux changements climatiques, ils ont déjà un impact sur la production agricole, les mouvements migratoires, les tensions géopolitiques, et n’iront qu’en s’intensifiant.

De plus en plus de personnes sont conscientes de tout ça, mais se sentent dépassées, impuissantes devant pareil tableau. Or, s’il est vrai que, globalement, on a les mains liées, localement on peut encore agir. Si on se parle, si on imagine ensemble un projet qui fait sens, on peut transformer des choses. On peut se redonner du pouvoir.

Nous aimerions vous présenter quelques idées pour la Petite-Bourgogne.

Mais d’abord, faisons un portrait rapide de la situation. Parmi nos difficultés, on retrouve : le manque de travail pour les résidents; l’absence de commerces de proximité qui permettent de se procurer de la nourriture et des biens de première nécessité à prix abordables; des problèmes croissants de sécurité (criminalité, itinérance, cohabitation, etc.); une jeunesse qui décroche parce qu’on ne lui propose rien de valable.

Tout ceci sur fond d’un quartier qui se transforme : ces dernières années, plusieurs personnes ont quitté la Petite-Bourgogne et des centaines de nouvelles sont arrivées. Les gens se connaissent de moins en moins; la gentrification ainsi que la multiplication des barrières culturelles ou linguistiques ont accru les tensions. Nous avons de plus un quartier qui pousse dans le quartier : Griffintown. Ses problèmes s‘ajoutent aux nôtres sans que les ressources ne suivent et aucune cohésion n’existe entre les deux solitudes de la rue Notre-Dame.

Bon, maintenant qu’on a décrit les problèmes, parlons de ce qu’on a dans le quartier et qui peut servir de leviers.

Nous avons :

  • Des logements sociaux, dont le plus grand parc d’HLM au Canada; ce patrimoine, on l’oublie, permet à 1 400 ménages de consacrer au maximum 30% de leur maigre revenu au logement; d’autres quartiers n’ont pas cet avantage;
  • 6 locaux communautaires munis de frigos, de congélateurs et gérés par des associations de locataires;
  • Un centre communautaire où l’on trouve 2 cuisines commerciales, le Café citoyen, un dépanneur, une buanderie, un salon de coiffure et un immense espace de rangement au sous-sol;
  • Des dizaines de terrains extérieurs qui font partie du parc d’HLM;
  • Un héritage d’entraide et des résidents impliqués dans les nombreux projets du quartier;
  • Une tradition de concertation et de coopération entre les résidents, les organismes communautaires et les institutions.

Donc, on fait quoi dans ces conditions? On retourne aux racines de l’action communautaire. On arrête de gérer le statu quo et on génère de la justice sociale. On sort du corporatisme (« ma cause est meilleure que ta cause, mes pauvres sont plus pauvres que tes pauvres ») et on travaille réellement ensemble. Faisons sauter les silos. Il faut abandonner les approches par groupe d’âge, thèmes ou problématiques et se donner une vision commune du développement du quartier.

On pourrait se concentrer sur 3 priorités.

 

1) Le développement social

Les liens sociaux sont la clé de voûte de tout changement réel. Notre quartier a une force : son réseau d’entraide. On l’améliore, on l’étend. On coalise les projets qui existent déjà : Bloc Net, Coopérative jeunesse de service, Brigade de salubrité, Pairs aidants…. Associations de locataires, organismes communautaires, institutions, on coordonne nos actions pour soutenir les personnes, les milieux de vie, le quartier dans son ensemble.

Pour ce faire, on mobilise de nouveaux résidents. On se donne un plan de match pour augmenter le nombre « d’entraidants ». Si on les forme, si on les accompagne, des dizaines de résidents s’impliqueront pour :

  • Aider des personnes en difficulté ou rendre service à d’autres locataires;
  • Accueillir les nouveaux résidents;
  • Soutenir les associations de locataires;
  • Contribuer à améliorer le sentiment de sécurité;
  • Participer à des projets d’embellissement et de propreté;
  • Organiser de activités dans les cours des immeubles ou les parcs.

Pour inciter les résidents à s’impliquer, nous devrions instaurer un salaire social dans le quartier. Réfléchissons à une refonte de notre système de rétributions (cartes-cadeaux, allocations). Les bénévoles ne sont pas de gentils exclus qu’il faut traiter avec bienveillance. Ce ne sont peut-être pas des employés, mais si on entend par travail l’ensemble des activités qui contribuent au développement humain, que sont-ils? On vous laisse y penser.

 

2) Le développement économique

Pour avancer dans cette voie, on pourrait créer un pôle d’économie sociale en s’appuyant sur les possibilités qu’offre le Centre Yolande-Breton (restaurant, dépanneur, buanderie, salon de coiffure). L’économie sociale ne subordonne pas la société à l’économie, elle fait l’inverse. La plus-value (les profits) serait injectée dans le quartier. Nous pourrions être ainsi moins dépendants des subventions. On ne vivrait pas riche mais on vivrait plus dignement.

Pour répondre aux besoins des résidents, on pourrait offrir du travail à temps plein, à temps partiel, ou encore des stages rémunérés. Les possibilités sont variées : cuisine, coiffure, gérance, réparations, entretien, manutention, livraison. Les talents de chaque personne, quels que soient son âge ou sa condition, seraient mis à contribution. Le grand espace de rangement au sous-sol du Centre pourrait servir à mettre en place un comptoir de vêtements et de meubles. Ces espaces appartiennent à un organisme public, on y aurait accès gratuitement ou du moins à très bon prix.

On pourrait aussi colorer notre grisaille en engageant des artistes, créer des lieux de rencontres, embaucher des musiciens…

 

3) Un axe écologique

On l’a dit plus tôt, on a dans le quartier des dizaines de terrains disponibles, de l’équipement pour cuisiner et stocker la nourriture. Il nous manque quoi? Un circuit local d’alimentation. Même si on sait que la plupart des terrains sont contaminés, il est tout à fait possible de mettre en place des installations (géotextiles, bacs, serres, etc.) qui permettent une agriculture urbaine. On pourrait développer les infrastructures nécessaires, embaucher des personnes pour cultiver des fruits et des légumes qui seraient transportés dans les deux cuisines du Centre où ils seraient transformés, puis stocker les plats dans les salles communautaires des logements sociaux et communautaires. Celles et ceux qui aiment faire du vélo pourraient faire de la livraison zéro carbone! Ce circuit local pourrait inclure la collecte des surplus des commerces et servirait de base à un développement écologique du quartier.

On le voit, beaucoup de choses existent déjà. Ce que ça nous prendrait pour aller plus loin, c’est :

  • Un poste de coordination pour développer une vision de quartier, centraliser les projets d’entraide et mobiliser les résidents;
  • Une personne chargée du développement de projets en économie sociale; elle analyserait les possibilités de financement et organiserait le «pôle économique»;
  • Une personne chargée du développement en agriculture urbaine; elle s’occuperait de la création du «pôle écologique».

En conclusion, cette proposition n’est qu’une ébauche : on peut la modifier et l’améliorer tant qu’on veut. L’important, c’est de garder l’esprit qui l’anime.

 

Renforçons les liens entre les gens, qu’importe leur condition sociale, économique ou leur origine. Reconstituons un véritable tissu social, plus juste et plus sécuritaire. Offrons aux personnes qui habitent ou travaillent dans le quartier la chance de participer à des changements profonds. Donnons-leur la possibilité de se sentir utiles et reconnues.

On peut réapprendre à penser et à débattre en dehors du cadre imposé.

 

Par l’entremise de nos collectifs, associations, organismes, table de quartier, on se réapproprie la démocratie, on invente, on se projette dans un futur désirable.

Est-ce qu’on essaye?

Le comité de quartier de la Petite-Bourgogne

 

1 En 2019, les milliardaires du monde entier, c’est-à-dire seulement 2 153 personnes, se partageaient plus de richesses que 4,6 milliards de personnes. Oxfam international.
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