J’ai toujours appelé mon logement « mon monastère à moi », « ma bergerie ». Je laisse jamais personne entrer chez moi. Je laisse pas entrer les loups. J’ai des craintes, c’est tout. Je vis dans les logements de la ville parce qu’un médecin m’a référée là avec une travailleuse sociale. Je suis veuve depuis 2006 et je n’avais nulle part où aller. Mon conjoint est mort dans mes bras. J’ai eu des problèmes de santé mentale. Je reconnaissais pas mon fils. J’ai fait une crise, j’ai basculé. J’ai lavé la maison six fois avant qu’elle soit vendue. Ç’a été dur. Je pouvais pas dormir dans le même lit où il avait dormi, j’étais insomniaque, je dormais sur les chaises. J’oubliais de manger. J’avais hâte de sortir de là. Mon conjoint a été en dialyse pendant cinq ans et la seule fois où il a manqué un rendez-vous, il est mort dans mes bras, le 15 juin 2006. Il était connu comme Barabbas au CLSC. J’ai fait beaucoup d’anxiété. Ç’a été vraiment difficile. Aujourd’hui, je suis comme une souris, je fais pas de bruit, je dérange personne. J’écoute la TV à 3, pour pas déranger personne. Je me colle l’oreille sur la TV pour entendre, je veux pas déranger. Personne ne sait si je suis là.
Depuis que les nouveaux sont arrivés, c’est fatiguant. Si je rentre et que je veux écouter La Voix à la TV, si je mets juste un peu de son, mon voisin cogne comme un sauvage dans mon mur. BANG! BANG! BANG! C’est un grand gars, il faut qu’il se baisse pour entrer chez lui. Il parle fort, il a une grosse voix. J’aime pas ça quand il tape dans le mur. La première fois, j’ai sauté. Je me suis dit : « Je me sens plus chez moi, il m’a volé ma liberté. » Je peux pas faire de bruit. Je n’ose même plus chanter quand je passe l’aspirateur. Avant, je faisais des vocalises, asteure, je ne chante plus. Je me sens plus chez nous. Je perds la voix. Je veux pas parler au gars parce que je veux pas de come back. J’ai peur de lui. Je sens qu’il est pas bon, qu’il est pas bien, qu’il pourrait me faire du mal ou faire du mal à mon fils ou à mes petites filles. Il y a quelques chose de bizarre dans ses yeux. Il fait beaucoup de bruit et ses gestes sont violents. J’en parle pas à la ville parce que j’ai été élevée dans le silence, ma mère m’a élevée en me disant : « Si tu veux rester en vie, reste en silence, dis rien, c’est de même à Saint-Henri, tu mets pas ton nez dans les affaires des autres. »
J’endure ça depuis un bon bout parce que j’ai peur de perdre mon logement. Je veux pas commencer la chicane, j’aime pas les chicanes, ça me tue à petit feu, c’est épuisant. Je veux pas qu’on m’enlève mon chez-moi à moi. J’ai toujours peur de déranger, j’ai peur que la ville soit fâchée contre moi si je me plains. Je connais pas ça une plainte, je me plains jamais, je demande rien à personne. On m’a appris à fermer les yeux quand on voit quelque chose de pas correct. On subit et on attend que ça passe.
C’est plate d’être dans son logement et d’avoir toujours peur. Mais, je me renferme dans moi-même, il y a que moi qui ai de la peine. Je veux pas faire la guerre avec mes voisins, jamais. J’ai plus le choix, je prends des pilules pour l’anxiété. Je me sens épiée. Dès qu’il y a un tout petit bruit, il tape dans le mur.
Je ne chante plus, ça me manque, c’était ma vraie liberté à moi. Je me sentais vivante avant, j’aime ça la musique. On dirait que tout lui appartient. Je suis tannée d’avoir peur. Mais j’en parlerai jamais à la ville, ni à mon voisin, parce que je le crains. Je suis toute seule. Je veux pas déranger . On m’appelle la sauvagesse, mais je suis pas méchante. J’ai perdu « mon monastère », mon chez-moi n’est plus mon chez-moi, même si je paye mon loyer et que je dois rien à personne. J’espère de tout mon cœur retrouver un jour « mon monastère » et ma liberté de chanter.
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