J’habite dans les logements sociaux depuis mon enfance. Je travaille dans le domaine communautaire.
Depuis la Covid, la mission de notre organisme s’est transformée.
Notre mission, c’est de briser l’isolement et de faire en sorte que les gens aillent bien. On appelle les gens deux fois par semaine. On essaye de les divertir en leur livrant des projets d’artisanat, de tricot, de broderie et en organisant une chaîne de lettres par Postes Canada. Malgré qu’on essaye du mieux qu’on peut, les gens sont quand même insécures dans leur maison.
Ils s’ennuient.
Les choses que je déplore, c’est qu’en ce moment tous les organismes parlent de « sécurité alimentaire ». On dirait qu’ils en ont juste pour ça. En plus, ils sont contents d’eux autres, sont contents de ce qu’ils font.
J’ai référé quatre de mes membres à une banque alimentaire.
La première a été satisfaite. C’est une habituée des banques alimentaires. Elle les fait toutes, elle connait le concept, elle savait qu’elle n’aurait pas grand-chose. La deuxième, c’était une madame toute seule avec deux enfants. Son congélateur avait brisé, elle avait plus rien. Elle n’avait jamais été dans des places de même avant. Elle ne connaissait pas le concept.
Je lui ai donné le numéro de téléphone. Elle a appelé. Elle était très satisfaite. Elle m’a rappelée pour me dire qu’ils viendraient livrer ça le lendemain, à la maison. On lui a demandé si elle avait des animaux et on lui a dit qu’on leur amènerait de la nourriture. Elle était contente ! Elle se disait que ça allait bien son affaire.
Le lendemain, sont allés lui livrer ça. Ils lui ont dit que c’était pour une ou deux semaines, pour elle et ses deux jeunes.
Elle a reçu sept petites patates, plus petites qu’une balle de tennis, une canne de soupe, une canne de petits pois et une canne de maïs, toutes des petites cannes, pas les grosses affaires. Il y avait aussi une boîte de chips, genre Pringles, une boite de style biscuit Ritz (mais pas la vraie marque), deux concombres, un piment, un fromage (un dégueulasse) et un sac de guimauve. Pis c’est tout ! Ils ont eu juste ça, pour les trois, pour une semaine ou deux. Ah oui ! J’oubliais. Le chat, lui, a été gâté. Il a eu quatre cannes de boîtes à manger pour chat. Il y avait aussi un sac de bouffe pour le chien.
Pensez-vous qu’elle était contente ?
Quand elle m’a appelée, elle avait perdu sa joie. Elle était vraiment triste. Elle était vraiment dans le besoin. Ça lui avait pris tout son petit change pour appeler là. J’ai senti qu’elle était pas juste déçue, elle était insultée !
Elle m’a dit : « Y nous prennent pour qui ? »
Elle rappellera plus jamais.
J’ai référé une troisième personne. C’est un couple. Le monsieur n’est pas petit. C’est un corpulent. C’est un bon mangeur. J’ai vu ce qu’ils ont reçu.
Dans la boîte, il y avait des petites patates (carrément des grelots !), une cuisse de poulet de la grosseur de la paume de ma main, quatre saucisses, un steak gros comme mes mains (pis j’ai pas des grandes mains !), deux concombres et un piment. Tu peux-tu toffer une semaine ou deux avec ça ? À deux ?
Je comprends pas que les groupes allument pas.
Le monde qui dit : « Quand il y en a pour un, il y en a pour deux » sont dans le champ ! C’est pas vrai cette affaire-là ! Quand il y en a pour un, bien, il y en a pour un ! Faut arrêter de séparer la pomme en quatre.
J’ai honte d’avoir référé mes membres à ces places-là. Je considère que mes gens ont pas été servis dignement. La quantité a pas de bon sens ! J’aurais honte de donner ça pour une semaine à quelqu’un. Tu peux même pas toffer deux jours avec ça, même en faisant des petites portions.
Les chats et les chiens en ont eu plus !
J’hésite à référer encore du monde. Faut que je leur dise : « ça se peut que ça soit de la marde ».
Je suis pas bien avec ça…
Quand on dessert nos gens, faudrait s’arrêter et se demander si ce qu’on offre aux gens, on l’accepterait pour nous autres.
Je me suis toujours dit : « Ce qui est bon pour Minou est bon pour Pitou. »
Je lis beaucoup de monde sur les médias sociaux. Il y a des groupes et des intervenants qui sont contents d’eux. Sont fiers de leurs organismes, sont certains qu’ils font la bonne chose. Je veux pas leur rentrer dedans, mais il faut nommer les affaires : il y en a qui se trouvent bons pour pas grand-chose.
Je comprends pas pourquoi il y a des organismes qui arrivent pas à voir la différence entre la réalité pis ce qu’ils pensent. À place de changer la couleur des gens, ça devrait être à nous autres de prendre la couleur des gens. Faut pas essayer de les changer, faut s’adapter. Les gens ont du vécu, faut les écouter, faut arrêter de les infantiliser.
Je dis tout ça à cause de mon exemple sur la banque alimentaire, mais ça s’applique à tellement d’autres affaires.
Après la fin de la Covid-19, va falloir qu’on se pose des questions.
On est-tu sur les bonnes affaires ? On est-tu vraiment si bon que ça ?
On travaille peut-être fort, on est peut-être essoufflé, mais on est-tu sur les vrais besoins, ceux du vrai monde ?
Un moment donné, va falloir qu’on s’assoie et qu’on se demande si on est vraiment compétent.
Pis, je m’inclus là-dedans.
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