Depuis quelques années, un projet de soutien communautaire se déroule dans la Petite-Bourgogne. Il s’appelle le PARI – pour Projet d’Action, de Référence et d’Intervention (comme dirait Clémence Desrochers, il s’agit d’une initiative très très très connue dans un cercle très très très restreint), et ses intervenants ont fait une observation qui les a amenés à regarder d’un peu plus près un aspect important de la vie en logement social : la question sécuritaire.
Notre quartier traîne une mauvaise réputation. Dans le passé, il y a eu ici bien des événements reliés aux gangs de rue. Les trafiquants de drogue s’affichaient ouvertement et il y avait même, à l’occasion, des meurtres. Cette image de quartier violent, dangereux, flotte encore dans certains esprits mais elle ne correspond plus à la réalité. Par contre, en parlant avec les locataires, les intervenants se sont aperçus qu’alors que le sentiment de sécurité avait augmenté dans les rues, il avait diminué dans les habitations. La peur n’avait pas disparu, elle s’était déplacée.
Ce que craignent les locataires aujourd’hui, ce ne sont plus tellement le quartier lui-même et ses histoires de crimes, les attaques dans les lieux publics, etc.; non, ce qu’ils craignent, ce sont leurs propres voisins. Bien sûr, il y a de la criminalité dans les immeubles, mais ce n’est plus la peur du criminel qui ressortait en premier dans les témoignages. Les gens exprimaient plutôt un sentiment de frayeur face aux comportements bizarres de leurs voisins. Comme taper subitement dans les murs; crier sans relâche; faire des bruits étranges, inexplicables; avoir un regard toujours un peu absent. Ce qui se dégageait, c’est qu’un bon nombre de locataires avaient développé une peur de l’immeuble qu’ils habitent. Comme s’ils étaient prisonniers de leur logement, prisonniers d’un milieu hostile, entourés de gens qui les effraient. « Je ne prends jamais l’ascenseur, je prends l’escalier de secours parce que je veux ne rencontrer personne. » Ou encore : « Moi, j’écoute à la porte et j’attends que mon voisin s’en aille avant de sortir; je ne veux pas le croiser ».
Pour mieux saisir l’ampleur et la nature de cette transformation, le comité de coordination du PARI a épluché les statistiques sur les interventions policières dans le quartier. Les résultats sont assez renversants. Pour l’année 2017, dans 5 habitations qui comptent au total 388 portes (précisons qu’ont été retenues des habitations connues pour être problématiques), il y a eu 312 interventions policières. En un an!
Quand on regarde les chiffres, on peut sans se tromper avancer qu’au delà de 40% des interventions étaient reliées à des conflits de voisinage. Et les deux tiers d’entre elles (67%) concernaient 10% des logements. Ça nous donne dans les 200 interventions policières liées à tout au plus une quarantaine d’appartements. Clairement, la majorité des problèmes de sécurité étaient causés par une minorité de locataires.
Cela laisse songeur et appelle quelques questions et remarques.
Il est difficile de conclure quoi que ce soit à partir de ces statistiques, mais de toute évidence la qualité de vie dans les habitations est fragile. Un très petit nombre de locataires suffit pour déstabiliser l’ensemble d’un milieu. C’est une chose qui a été bien mise en lumière par le PARI et qui mériterait d’être examinée de plus près. Au lieu de s’en tenir à des généralités, c’est-à-dire à des préjugés, on devrait peut-être prendre note qu’une majorité de locataires arrive à cohabiter sans trop de problèmes. N’y aurait-il pas moyen d’intervenir avant que les crises n’éclatent?
N’y aurait-il pas lieu aussi de s’interroger sur la manière d’intervenir? Peut-on dissocier la question sécuritaire du soutien communautaire? Laisser des policiers entrer à répétition dans les immeubles alors que leurs interventions – et ils seront les premiers à vous le dire – ne règlent rien, souvent même aggravent les problèmes, est-ce que ça ne traduit pas une façon de penser qui doit être revue? Est-il besoin de vous rappeler que le sécuritaire est à la mode et qu’aux dernières nouvelles, il ne nous rapprochait pas de la paix?
Et puis, pour ceux qui préfèrent le calcul à la réflexion et font de l’austérité budgétaire un principe de vie : pourrait-on établir le coût de ces opérations policières et de leurs conséquences sur le système judiciaire, la santé, les services sociaux? On pourrait comparer leurs coûts avec les coûts et les effets à long terme d’un vrai soutien communautaire qui travaillerait à réparer le lien social.
Combien coûterait la mise en place d’interventions concertées qui impliqueraient tous les acteurs, y compris les locataires et leurs associations, comparé à ce fiasco?
À vous, à nous tous de choisir : le développement des communautés ou la matraque?
Le comité de quartier de la Petite-Bourgogne
________________________
Vous avez envie de réagir? Écrivez-nous ou laissez un commentaire ci-dessous.
Vous avez aimé? Cliquez ici pour vous abonner et recevoir un courriel lorsque nous publierons de nouveaux textes.
Abonnez-vous à notre page Facebook par ici : https://www.facebook.com/lecomiteduquartier/